Revue de Presse de Chambre 108

Avant même que la pièce ne commence, le ton est donné avec une épigraphe de Sartre expliquant la véritable signification de sa formule « l’enfer c’est les autres » : ce qu’il a voulu dire c’est que « si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l’autre ne peut être que l’enfer ».

En effet, on pourrait croire que nous ne sommes pas loin de l’enfer dans le huis clos contemporain de la chambre d’hôpital. Celle-ci va pourtant devenir, non sans difficultés, au gré des humeurs des deux occupants, le lieu où les langues se délient et les émotions se dévoilent. D’une part, René Bertillon, vieil homme aigri et solitaire mais qui a fait de l’hôpital son nouveau domicile, regarde défiler les patients sur le lit voisin. D’autre part, Charles Renoir, la quarantaine, marié, cadre, peu loquace, se retrouve assommé par la suspicion d’un cancer du pancréas qui l’oblige à se livrer à une batterie d’examens. Entre ces deux hommes, une infirmière pimpante, séduisante et pêchue, interprétée avec énergie par Isabelle Rougerie, dont les paroles et les gestes rassurent, mais dont le discours est parfois si maladroit qu’il prête à rire. À force de voir défiler les malades, sans doute la souffrance se banalise… « Quel plaisir de voir un malade jeune ! » lance-t-elle à l’arrivée de Renoir.

La mise en scène sobre laisse toute son importance aux mots : les deux lits se meuvent – sur d’agréables morceaux jazzy – au gré des scènes qui correspondent aux temps forts d’une journée à l’hôpital (repas, sieste, nuit). Le lit de l’un est tantôt en avant ou en retrait, privilégiant ainsi les paroles et les maux de chacun, ou bien les deux se retrouvent côte à côte, au même niveau. Au même niveau, puisqu’à partir du moment où Renoir s’installe et enfile un pyjama identique à celui de Bertillon, le jeune n’a plus l’ascendant sur le vieillard et la perte de dignité et d’humanité s’accroît. La pulsion de mort est d’autant plus forte que la chambre 108 donne sur un cimetière, comme si elle en était l’antichambre, et c’est cette angoisse qui sera le moteur de la discussion houleuse et à contretemps des deux hommes.

Les deux personnages mettent du temps non pas à parler, mais à se parler. Le René Bertillon interprété par Hervé Masquelier – fort convaincant dans le rôle du grognon – agace Renoir mais aussi le public par ses gémissements et ses plaintes concernant la société en général. Renoir campé par Jean-David Stepler amuse les spectateurs de tous les âges qui rient à ses réparties tranchantes et bien trouvées mais peut aussi être touchant et mettre le doigt là où cela fait mal, chez ses compagnons de scène comme chez les spectateurs. Finalement, tant bien que mal, les deux hommes se radoucissent, un peu résignés par leur « condition de patient » : se rebellant contre celle-ci et s’appelant enfin par leurs prénoms, la communication devient possible.

Les problématiques de la pièce font forcément écho chez le spectateur : la famille, l’amour, le désir, la maladie, la solitude, la perte d’autonomie et la mort sont évoqués, sans tomber dans le cliché, mais au contraire, avec humour, tout en alternant émotion et légèreté.

Comédie dramatique de Gérald Aubert, mise en scène de Bruno Bernardin et François Bourcier, avec Isabelle Rougerie, Jean David Stepler et Hervé Masquelier.

« Chambre 108 » n’est pas une chambre d’hôtel pour frasque galante et comédie de boulevard avec le fameux trio du vaudeville mais une chambre d’hôpital. Moins drôle bien évidemment.

Encore que, hors de tout pathos naturaliste et toujours sur le fil de la comédie dramatique, Gérald Aubert titille la veine humoristique.

En effet, il signe une comédie épatante, spirituelle et presque philosophique comme une ode à la vie, et cependant empreinte de réalisme, qui aborde les sujets les plus redoutables, la solitude, la maladie, la vieillesse et la mort, avec beaucoup de justesse, de sensibilité et d’humour, l’humour noir rivalisant avec l’humour allénien, dans laquelle les personnages naviguent à vue entre autodérision et désenchantement.

Une comédie avec une vraie intrigue théâtrale qui repose sur la rencontre et la confrontation de deux personnages que tout oppose et qui vont devoir partager le même espace « vital » : un vieux grigou bougon, qui élirait bien domicile à l’hôpital pour échapper à la solitude du retraité d’autant qu’il y a du mouvement avec la succession des voisins de lit, et surtout logorrhéique et un quadra inquiet fauché au bel âge par une suspicion de cancer.

Entre les deux, joignant le geste médical à l’oreille de la confidente, une sympathique infirmière fait à la fois officie d’arbitre et de substitut maternel pour ces hommes fragilisés.

Pas d’esbroufe dans la mise en scène de Bruno Bernardin et François Bourcier mais une direction d’acteur serrée pour éviter tout numéro d’acteur. Et l’interprétation n’appelle donc aucune critique.

Isabelle Rougerie campe parfaitement l’infirmière qui sait dédramatiser sans infantiliser et qui, pleine d’empathie malgré son professionnalisme, y laisse parfois, peut-être même à chaque fois, des plumes.

Le jeu de Jean-David Stepler est également remarquable pour restituer le malaise existentiel qui assaille le malade déstabilisé, quasiment en rupture avec le réel, focalisé sur sa petite personne, obnubilé par un diagnostic pressenti comme grave et pessimiste au point d’avoir choisi pour livre de chevet « Le pavillon des cancéreux » de Alexandre Soljenitsyne.

Quant à Hervé Masquelier, il se taille la part du lion avec une partition ciselée qui cerne de manière éloquente la solitude du retraité qui ne parvient pas à remplir le vide de journées scandée par le rythme des repas devenus son unique plaisir.

Il apporte beaucoup de nuances de jeu au personnage de vieux misanthrope qui, sous couvert d’une sénilité affichée, instrumentalise son entourage, ce qui ne l’empêche pas d’être facétieux et d’agir presque à l’insu de son plein gré de manière compassionnelle.

Un spectacle à voir absolument. Et sa programmation au Théâtre des Deux Rives à Charenton-le-Pont ne constitue pas une excuse absolutoire puisqu’il est desservi par une ligne de métro directe depuis Opéra.

Chambre 108 de Gérald Aubert

Danse entre la vie et la mort

La création de Chambre 108 au Poche-Montparnasse en 1990, assurée par Etienne Bierry et Georges Werler, a immédiatement révélé un auteur, Gérald Aubert, qui allait compter. Depuis, Aubert a été joué par les plus grands acteurs (Pierre Arditi, François Berléand, Jacques Gamblin, Michaël Lonsdale). Revenir à sa première pièce est une aubaine : tout son art de saisir à la fois le drôle et le tragique de la vie est déjà là. Nous sommes dans une chambre d’hôpital. Elle est occupée par un malade un peu âgé qui n’est pas près de vider les lieux ; il aime se morfondre et se plaindre, et il n’est pas atteint d’un mal imaginaire. Arrive un malade plus jeune, incertain de son avenir, puisqu’il subit des examens, angoisse – avec cette hospitalisation, le ciel lui est tombé sur la tête. Il est accablé, mais moins plaintif que son voisin. Entre eux, de l’un à l’autre et de l’autre à l’un, passe une infirmière : elle est celle qui écoute, celle qui console, la maman qu’on appelle et la femme qu’on fantasme. Toutes ces minutes de relations mouchetées vont changer secrètement ces personnages, et un élément nouveau bousculera cette vie à trois.

C’est une danse de vie et de mort où l’être humain passe sans cesse du dérisoire à l’essentiel. La mise en scène de Bruno Bernardin l’a bien senti : elle aiguise chaque sensation mais relie chaque moment par un air de jazz joyeux ou désinvolte. Dans un jeu chafouin, souterrain, roublard, Hervé Masquelier compose un malade difficile avec une belle truculence, à la Michel Serrault. Son partenaire, Jean-David Stepler, à l’opposé, intériorise ; il dessine joliment au pastel tout ce qui traverse un personnage blessé et secret. Isabelle Rougerie, enfin, est l’infirmière : elle sait exprimer l’insolite caché de cette femme apparemment banale qui ose, parfois, franchir la ligne jaune. Voilà un instant qui nous touche comme une nouvelle de Tchekhov, qui était médecin des corps et des âmes.